20 juil. 2010

Poitiers donne une rue à un gamin, fils d’un Gitan et d’une Manouche,

Ce dimanche 18 juillet 2010, la ville de Poitiers a donné une rue à un gamin, fils d’un Gitan et d’une Manouche, qui fut interné dans des camps français de concentration pour nomades pendant la Seconde Guerre mondiale. Pas exactement une rue, mais une allée de terre, plus intime, plus douce aux semelles de vent des Gens que l’Administration dit du Voyage, étrange appellation qui n’a ni singulier ni féminin… Une allée, donc, mais idéalement située face au moderne et imposant bâtiment des Archives départementales où dort toute la mémoire de la Vienne ; où dormait, sans doute avec la bénédiction des amnésiques volontaires, celle de l'un de ces camps dans lequel fut parqué ce gamin. L'une des deux plaques de rue est exactement à l'emplacement de l'ancienne ligne de barbelés.

Jean-Louis Bauer (1930-2007), dit Poulouche, avait 10 ans quand il se retrouva pour la première fois derrière des barbelés, ceux de Mérignac, en Gironde où nomadisait alors sa famille.


Poulouche et sa maman, en 1985.

C’était au cours de l’été 1940, je ne me souviens plus de la date exacte, m’a-t-il confié quand je l’ai connu. On était sur les routes avec des chevaux, des verdines, on voyageait dans la Vienne, les Deux-Sèvres, la Gironde, partout, et un beau [sic] jour, on nous a ramassés, on ne savait même pas pourquoi. On nous a mis dans un grand champ, comme ça, avec interdiction de circuler. Toujours les Français, la gendarmerie du côté de la Gironde. Et là, on a laissé nos verdines, nos chevaux et tout, et on n’en a plus jamais entendu parler.

Interné parce que la 3ème République finissante avait, le 6 avril 1940, décrété que les nomades devaient être tenus de résider sous surveillance de la police dans une commune par département. Les premiers internements que j'ai découverts dans les archives pour le camp de Mérignac datent du 14 mai 1940 : ceux des parents W. et de leurs 10 enfants. Vichy puis les Allemands profitèrent de ce même décret pour se débarrasser d’une population qui ne leur gréait pas ; le Gouvernement Provisoire de la République de de Gaulle les laissa dans les camps après la libération du territoire fin 1944, les derniers Tsiganes ne quittant celui d’Angoulême qu’au premier jour de juin 1946.
C’est dire si la destinée de Poulouche et de ses compagnons nomades fut ordinaire. Transfert dans le camp de Poitiers début décembre 1940 ; puis dans celui de Montreuil-Bellay le 23 décembre 1943, camp le plus important de l’hexagone, avec miradors et barbelés électrifiés. Le 18 janvier 1945, c’était Jargeau (Loiret), alors que les Allemands et Vichy avaient été chassés de tout le territoire français !!! Il fallut attendre le 23 décembre pour que l’adolescent, qui avait alors plus de 15 ans, reprît la route, à pied, de Jargeau à Poitiers, en plein hiver, la maman tirant la poussette dans laquelle pleurait son plus jeune enfant. La famille s’installa à La Neuville-en-Poitou où elle attendit en vain le retour du père déporté en Allemagne en janvier 1943, dans le cadre de la Relève Forcée instituée en septembre 1942.

Le chemin de Poulouche croisa le mien début 1984, suite à un article paru le 21 février dans La Nouvelle République du Centre-Ouest, édition de la Vienne, qui évoquait la publication de mon premier ouvrage sur le camp de Montreuil-Bellay *. Il m’a alors envoyé une lettre dont je n’ai jamais oublié les premiers mots : Moi, je suis Gitan, et je m’appelle Poulouche, quand j’ai lu le journal, j’ai pleuré.
Nous ne nous sommes plus quittés depuis, jusqu’à son décès en novembre 2007. Je l’ai aidé dans son combat pour que fût reconnue cette forfaiture occultée aussi bien par l’Administration que par les historiens. Les Tsiganes n’intéressaient les médias que pour stigmatiser leurs méfaits et conforter nos compatriotes dans le rejet dont ils sont victimes depuis leur arrivée en France au XVème siècle. Des stèles furent ainsi érigées à Poitiers, Montreuil-Bellay et Jargeau.


Inauguration de la stèle à Montreuil-Bellay le 18 janvier 1988. Poulouche entre le préfet du Maine-et-Loire et le maire de la ville. Jacques Sigot retrace l'historique du camp.


Chaque année, le dernier samedi d'avril, Poulouche ranimait la flamme du souvenir à Montreuil-Bellay. Ici, en 2005.


Jean-Louis Bauer fut nommé président de l’Association Nationale des Victimes et des Familles des Victimes Tsiganes de la Seconde Guerre mondiale. Sa ville vient donc de lui rendre cette reconnaissance officielle que n’aurait pu imaginer le gamin qui souffrit dans les camps, que n’aurait jamais pu espérer l’adulte qui passa les dernières années de sa vie à sauver cette mémoire qui le hantait. Son fils Tony, entouré de sa famille, eut beaucoup de mal à refouler son émotion quand il remercia Alain Claeys, député-maire de Poitiers, pour ce geste insigne, au nom de toute la communauté tsigane de France.

Jacques Sigot, dit Tchopa, nom donné par la maman de Poulouche en 1985.

* Un camp pour les Tsiganes et les autres. Montreuil-Bellay 1940-1945, Editions Wallâda, 1983. Réédité par les mêmes éditions en 2010 sous le titre : Ces barbelés que découvre l'histoire. Montreuil-Bellay 1940-1946.


Poitiers le 18 juillet 2010. Tony, rend hommage à son père; à sa droite, le député-maire de Poitiers, à sa gauche, le secrétaire général de la préfecture de la Vienne.


La famille de Jean-Louis Bauer. A l'arrière-plan, les Archives départementales de la Vienne.