28 mars 2013

Humeur montreuillaise


Montreuil-Bellay se fait belle pour ses touristes... et ses habitants.
Après le miraculeux sauvetage de la grande église des Augustins, après le "savant et précieux" aménagement du Mail Aubelle et des abords de la médiathèque François Mitterrand, après la belle restauration de la tour des Glycines de l'ancienne enceinte urbaine, il reste dans le quartier une disgracieuse ruine qui attend depuis moult années - si ce n'est davantage - une secourable attention : celle, avenue Duret, de l'un des piliers du portail qui donne accès aux bâtiments conventuels et aux jardins de ce qui fut à l'origine un monastère, avant de devenir un orphelinat, puis des logements locatifs.
Il m'a été rapporté que les pierres manquantes de ce pilier se trouveraient dans les ateliers municipaux, mais quid du ou des propriétaires de ce portail aujourd'hui bien tristounet ?
Coup de blues d'un quelconque (sic) Montreuillais. 
 
 La chose dans toute sa tristesse.

5 mars 2013

La lente et difficile reconnaissance d'un camp de concentration français


Cliquer sur les photos pour les agrandir  

Historique du camp de Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire), de janvier 1940 à novembre 1945 

Sur une bande de terre d'un kilomètre de long, coincée entre la route de Montreuil-Bellay à Loudun et une voie ferrée. Ce fut à l'origine un lotissement destiné à loger le personnel d’une poudrerie que construisirent, entre autres, des Républicains espagnols, qui avaient fui leur pays après la victoire de Franco, embrigadés pour travailler pour l’armée française (de janvier à juin 1940). 

Ce lotissement, entouré de deux rangées de barbelés électrifiés devint successivement :
– un stalag dans lequel les Allemands internèrent, jusqu'en mars 1941, des soldats français en déroute (juin 1940), et des civils du Commonwealth pendant la Bataille d'Angleterre (été 1940) ; il y eut aussi quelques civils étrangers  – comme l'équipage d'un cargo norvégien arraisonné par les Allemands au large de Saint-Nazaire  – vite libérés par leur ambassade.
– un camp de concentration dans lequel furent transférés des nomades – Mânouches, Gitans et Roms – qu’un décret républicain d’avril 1940 avait condamnés – sans jugement – à être astreints à résidence sous surveillance de la police (du 8 novembre 1941 au 16 janvier 1945).

On m'a souvent interdit de parler de camp de concentration pour celui de Montreuil-Bellay, et sur la stèle a été écrit "Camp d'internement" , ce qu'il n'était pas. C'était bien un camp de concentration...
– comme le rappelle ce texte des archives ; rapport en date du 18 janvier 1942 (Archives Départementales 49 : 97W48). (Cliquer sur le document s'il ne paraît pas en entier).

 ... il a pris le nom de "camp de concentration de nomades de Montreuil-Bellay"

– et ce document (archives privées) :



- et comme l'explique cette définition d'un historien :


Les camps de concentration sont des camps de prisonniers pour les personnes issues de groupes minoritaires, pour les dissidents politiques ou autres individus décrits comme « asociaux », détenus pour une durée indéterminée, le plus souvent sans avoir eu droit à un procès équitable. Ils se différencient des prisons, qui se veulent des lieux de détention légitimes pour ceux qui sont coupables de violer les lois ; des camps de prisonniers, où sont détenus les ennemis capturés ; et des camps de détention, d’internement ou de réfugiés, où sont rassemblées des populations civiles après une guerre. Il existe aussi des camps de concentration où les détenus sont retenus contre leur gré et sans contrôle judiciaire, mais sans y être maltraités.
Steven L. Jacobs, Le livre noir de l’humanité, Editions Privat, 2001.

Le camp de concentration de nomades de Montreuil-Bellay :

 En bas à droite, 1992, Daniel Mermet enregistre une émission 
pour France Inter : "Là-bas si j'y suis"

Mais ce fut aussi un camp dans lequel furent à leur tour internés :
des clochards nantais (arrivés le 2 août 1942) ;
des Russes blancs qui avaient pensé qu'Hitler écraserait les communistes (les Rouges), des Italiens alliés du Reich (début septembre 1944)... et deux Alsaciens enrôlés de force dans les armées du Reich, leur terre ayant été annexée par l'Allemagne ;
des collaborateurs locaux (fin septembre 1944). 

Puis en 1945, après la fin des combats :
– du 20 janvier au 20 novembre, quelque 800 civils allemands – essentiellement des femmes – raflés dans l’Alsace et la Moselle reconquises et qui avaient transité par le camp du Struthof ou certaines femmes avaient été violées, les enfants devant naître dans le camp en octobre ;
des soldats allemands après la reddition, le 11 mai 1945, de la Poche de Saint-Nazaire ;
243 autres civils allemands venus d’un camp des Côtes-du-Nord (arrivés le 29 août) ;
– et des femmes hollandaises mariées à des nazis (arrivées en août).

Reconnaissance tardive

– Avril 1980 : Apprendre fortuitement que les vestiges que je croyais être ceux d’une usine étaient en réalité ceux d’un ancien camp de concentration pendant la Seconde Guerre mondiale.
– Juin 1983 : publication aux éditions Wallâda d'Un camp pour les Tsiganes… et les autres. Trois nouvelles éditions ont suivi, toujours chez Wallâda : 1994, 2010 et 2011. Voir dans la bibliographie.
– 16 Janvier 1988 : Érection d’une stèle sur le site de l’ancien camp. La veille, je reçois de Simone Veil un télégramme de remerciements. La plaque d'ardoise fut offerte par Guy Potier, couvreur à Montreuil-Bellay. Nous dûmes assumer l'achat de la plaque de calcaire de Chauvigny et les frais de la gravure du texte. Cette plaque fut vandalisée sans que furent jamais retrouvés les coupables ; cette fois, c'est la municipalité montreuillaise qui prit en charge son remplacement.

 La plaque primitive.
(Cliquer sur le document pour rendre le texte lisible)

Ce qu'il en reste.

La stèle aujourd'hui.

– Avril 1990 : A la demande du Président de la République, première cérémonie officielle nationale et annuelle (renouvelée chaque dernier samedi du mois d'avril) sur le site du camp, devant la stèle, en hommage aux Tsiganes victimes de la Seconde Guerre mondiale.

 En avril 2006

Il faut attendre les années 1990, et la seconde édition de mon ouvrage aux éditions Wallâda pour que les médias nationaux s'intéressent à l'internement des Tsiganes en France pendant la Seconde Guerre mondiale. Jusqu'alors, seule la presse régionale en avait parlé.  

– 1994 : Denis Peschanski, directeur de l'Institut d'Histoire du Temps Présent, cite abondamment le camp dans son ouvrage Les Tsiganes en France 1939-1946. Contrôle et exclusion.

1994 : Une bande dessinée de Kkrist Mirror est entièrement consacrée au camp : Le Jollec, Chronique du camp de Montreuil-Bellay (1940-1944). Préface de Serge Klarsfeld. Je rappelle l'historique des internements.
1995 : Les Etudes Tsiganes sort un numéro spécial dont elle m'avait confié la responsabilité : 1939-1946. France : l'Internement des Tsiganes.

– 1995 : Lors de l'ouverture d’une déviation routière, destruction « gratuite » du seul bâtiment en dur du camp encore debout certains étaient en planches et des ruines du logement des directeurs, à proximité... qui ne gênaient en rien le tracé de la déviation. Pareillement disparaissent peu après, à la suite de l'élargissement d'un virage de quelques centimètres, les deux colonnes de l'ancien poste de garde qui se trouvait face à l'entrée principale du camp, le long de la route reliant Méron à Panreux, l'un de ses hameaux. Méron était alors une commune, aujourd'hui rattachée à Montreuil-Bellay.


– 2005 : Création de L'AMCT, l’Association des Amis de la Mémoire du Camp Tsigane de Montreuil-Bellay. Voir le bureau de L'AMCT en janvier 2013.
– 2008 : Dans son ouvrage Traces et mémoires urbaines, Enjeux sociaux de la patrimonialisation et de la démolition (Presses universitaires de Rennes), Vincent Veschambre consacre de nombreuses pages au camp : Une difficile mise en mémoire : le camp d'internement des Tsiganes de Montreuil-Bellay (pp 209 à 222).
 – 2009 : Que doit-on faire de ces lieux marqué par l'Histoire ? A travers l'étude de l'ancien camp d'internement pour Tsiganes de Montreuil-Bellay. Tel est le titre du mémoire de Sarah Augier (Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Nantes).

– 2010 : Sandrine Renaire, petite-fille d'anciens internés et présidente de L'AMCT prend le camp comme sujet de son mémoire qu'elle présente à l'Université Catholique d'Angers  : Un camp d'internement Tsigane à Montreuil-Bellay.
– Janvier 2010 : Sortie du film Liberté de Tony Gatlif. Le personnage principal, interprété par le petit-fils de Charlie Chaplin, est un interné du camp de Montreuil-Bellay.
– Avril-mai 2010 : Les médias commencent à reconnaître la responsabilité de la France dans l'internement des Tsiganes de l'Hexagone. Dans Les Cahiers de l'Express.

 

– Juillet 2010 : Inscription des ruines de l’ancien camp à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques.
– Août 2010 : Une page entière dans le Monde et dans Le Journal du Dimanche (deux fois dans le JDD : le samedi et le dimanche) à la suite d'un discours anti-tsigane à Grenoble du président de la République. Mais aussi dans L'Humanité, Le Patriote Résistant ; d'importants articles dans des rvues : Gavroche, Le Tigre, Ca m'intéresse...
– 2012 : Le nom du camp de Montreuil-Bellay est gravé dans une pierre du mémorial érigé à Berlin en hommage aux Tsiganes victimes de la Seconde Guerre mondiale


– Juin 2012 : Alexandre Fronty réalise un documentaire de 52 minutes, avec une reconstitution virtuelle du camp, Montreuil-Bellay, un camp tsigane oublié, pour la télévision (LCP, chaîne parlementaire).
– Septembre 2012 : Certaines parcelles du site de l’ancien camp sont classées "Monument Historique". Les autres, où subsistent les vestiges les plus importants, ont été achetées par un fermier qui y met paître ses vaches...
– 26 novembre 2012 : Une heure d'émission pour La Fabrique de l'Histoire, sur France Culture
– Janvier 2013 : Le patrimoine du canton de Montreuil-Bellay intègre le site de l’ancien camp dans la belle revue Images du Patrimoine, Montreuil-Bellay et son canton, Maine-et-Loire, Pays de la Loire, 303. 
Ci-dessous, la page 91.