16 déc. 2014

Les instituteurs et les deux Guerres mondiales

Après la lecture, dans Le Courrier de l'Ouest du dimanche 14 décembre dernier, d'un article de Geoffrey Ratouis sur la Première Guerre mondiale : "Chers enfants, vous êtes l'espérance de la Patrie", voici quelques réflexions personnelles... C'est que l'école de ma petite ville, ses maîtres et son maire y sont à "l'honneur" :

     "Montreuil-Bellay, le 26 juillet 1871. Dans la cour de l'école communale de garçons, le maire    Charles de Caqueray procède à la distribution des prix. [...] - Chers enfants, à votre âge, vous êtes l'espérance de la Patrie. Coûte que coûte, il faut refaire la France grande et heureuse...

Et nous savons aujourd'hui ce que 14/18 coûta en vies humaines !

Pour moi, ancien instituteur public, et je le fus pendant toute ma carrière, dont sept années à enseigner notre langue à de jeunes collégiennes à Meknès (Maroc), la Première Guerre mondiale fut assurément gagnée "grâce aux instituteurs", comme fut presque aussi assurément perdue par "leur faute", la Drôle de Guerre des premiers mois de la Seconde, en 1939/40.

De 1871 à 1914, par leur enseignement - leur avait-il été imposé par leurs autorités ? - les instituteurs, appellation vieillotte qui n'existe plus, remplacée pompeusement par "professeur des écoles" - alors que les maîtres "instituaient" quand les professeurs "professent - ont formé de braves soldats en même temps que des citoyens responsables. C'est qu'il fallait bien que la France retrouvât l'Alsace et la Moselle - et non pas l'Alsace et la Lorraine, comme il est traditionnellement et abusivement écrit et dit, une partie de cette dernière, dont Nancy, étant restée française. Alors on administra à doses intensives la haine du Boche - abréviation pratique d'Alboche, son vrai nom. Et ce furent des cours d'histoire ciblés ; des exercices physiques à apprendre aux garçons à manier le fusil, fût-il en bois.
En même temps, les cartes postales de l'époque conditionnaient la prochaine génération à la bravoure.


Chez nous, grands et petits ont la même vaillance.
Voilà pourquoi la France sera toujours la France.
(Image du Net)
 
Les instituteurs, les premiers massacrés sur le front.
Mais tout a changé entre 14-18 et 1939... Pendant le premier conflit mondial, les instituteurs, pédagogues zélés, se sont pour la plupart retrouvés promus sous-officiers à la suite de la préparation militaire, pour eux obligatoire. Sergents, lieutenants, ils étaient alors à la tête des simples troufions, à les commander effectivement, et quand il fallait sortir des tranchées pour attaquer l'ennemi, tous en même temps pour faire nombre, et à l'heure exacte indiquée par les officiers supérieurs protégés à l'arrière, ils étaient les premiers à grimper sur le talus pour entraîner leurs hommes, pour donner l'exemple. Et ils furent les premiers fauchés par le feu ennemi qui les attendait.
Penser à Charles Péguy, le poète beauceron qui chanta la Pucelle de Domrémy : fils d'une pauvre rempailleuse de chaises, Péguy fut élève de l'école annexe de mon école normale des Instituteurs d'Orléans, ville qu'avait libéré son héroïne en mai 1429 ; il fut l'un des premiers tués en 1914, le 5 septembre !
Les instituteurs ne furent pas exactement les premiers à mourir sur le front : les avaient précédés, entre autres, les Bretons et les gars du Massif Central - l'école de Jules Ferry avec l'apprentissage du français n'étant obligatoire que depuis peu pour ces patoisants - à qui l'on avait demandé de creuser les tranchées. Leurs noms couvriraient les monuments aux morts de leur province que la France dresserait bientôt dans chaque commune. Celui de Montreuil-Bellay, érigé par Raoul Lecompte, maçon local, avec le palan du charpentier Seguin, fut inauguré le 11 novembre 1920.
 
Après la victoire de novembre 1918, la déroute du printemps 1940
Les instituteurs, ces hussards de la République comme on les appelait, ont payé un lourd tribu à la camarde ; aussi, entre les deux guerres, sont-ils souvent devenus anti-militaristes. Et nous savons ce que firent la plupart des soldats français qui n'avaient pas, comme avant 1914, été endoctrinés à l'école primaire. Au printemps 1940, devant l'avancée allemande, ils préférèrent battre en retraite plutôt que d'ajouter à leur tour leur nom en lettres de sang sur les monuments. On ne naît pas héros, il faut que l'on soit bien dressé pour le devenir !


 Le monument aux morts de Montreuil-Bellay.
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En classe, je faisais aussi chanter le dernier couplet quasiment occulté de la Marseillaise, parce qu'il s'adressait à nos seuls élèves, le seul couplet qui leur fût exclusivement destiné :

Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n'y seront plus.
Nous y trouverons leur poussière
Et la trace de leurs vertus. 

Bien moins jaloux de leur survivre
Que de partager leur cercueil,
Nous aurons le sublime orgueil
De les venger ou de les suivre !

Un instituteur ne doit-il pas plutôt apprendre à vivre aux enfants qu'on lui confie ?

J'ai aussi, en son temps, composé un poème sur nos trois guerres contre Prussiens et Allemands qui, après tant de haine et de massacres, sont maintenant nos grands amis. 
Ce poème, mis en musique par Gérard Pierron, est chanté par Françoise Mingot, dite Fan fan. En voici le refrain : 

Quels sont tous ces canons ? Les morveux, qui se mouchent.
Français, soyons amis du grand peuple allemand.
Mais s’il faut bien un jour s’embrasser sur la bouche,
Messieurs, pensez-y donc plutôt qu'après, avant !

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                         Joachim Gauk, l’Allemand, et François Hollande, le Français.
(Photo AFP ; Le Courrier de l’Ouest le 4 août 2014).

3 déc. 2014

Visite épiscopale sur l'ancien camp de Montreuil-Bellay





Monseigneur Emmanuel Delmas, évêque d'Angers



Mardi 2 décembre 2014 à Montreuil-Bellay




Les bons paroissiens de ma bonne ville m'avaient demandé de guider l'évêque d'Angers toute une partie de ce mardi de décembre 2014 sur différents sites de Montreuil-Bellay.
Un vrai laïc ne pouvait refuser, surtout s'il avait vécu pendant sept années en terre d'Islam à travailler sa religion et à essayer de parler sa lange ; s'il avait accepté que son épouse  se marie - mais quand même sans sa propre participation - dans la cathédrale catholique de Rabat, au Maroc ; s'il avait accompagné sa fille jusqu'à son futur gendre devant l'autel d'une église protestante de Zürich, en Suisse.

Monseigneur Emmanuel Delmas, évêque d'Angers, a donc visité le site de l'ancien camp de concentration de la route de Loudun, avant de se rendre à Méron, autrefois commune, aujourd'hui rattaché à Montreuil-Bellay.

Son prédécesseur était déjà venu, en 2007... pour célébrer une messe sous chapiteau à proximité de l’enceinte de barbelés du camp de concentration, lors de la cérémonie du dernier samedi d'avril, cérémonie nationale et annuelle instituée en 1990 par la Présidence de la République.

 Monseigneur Soubrier, présent sur le site 
de l'ancien camp le samedi 28 avril 2007.

Cette fois, Emmanuel Delmas avait programmé cette visite avec ses hôtes de la paroisse montreuillaise.
Quand je lui demandai le pourquoi de ce choix, il m’a répondu que le nom de Montreuil-Bellay était à Angers associé à ces tragiques événements de la Seconde Guerre mondiale ; aussi  désirait-il savoir ce qui s’était exactement passé. 
D’où cette demande que l’on m’a faite de le guider.

Mânouches, Gitans et Roms

Ce fut d’abord un lent cheminement pour découvrir les ruines de l’ancien camp dans lequel furent surtout internés des Tsiganes. On les appelait alors « nomades », depuis le 16 juillet 1912. Nous les connaissons maintenant sous le nom de « Gens du Voyage », bizarre expression qui n’a ni singulier ni féminin. Il serait plus normal de dire "Tsiganes", du grec Atsinganos, nom que les Européens leur donnèrent vers le XIVème, quand ils les virent arriver de l‘Inde d’où ils étaient originaires.
Autres noms plus précis :
Roms qui, après plusieurs siècles d'esclavage en Europe de l'Est [actuelles Russie, Roumanie, Hongrie, Bulgarie...], ont repris la route, les premiers entrant en France dans les années 1870. Pendant la guerre, dans le camp, on les appelait plutôt "les Z’hongrois".
Gitans, restés sédentarisés en Espagne et dans le sud-ouest de la France, après leur migration médiévale.
Mânouches, les seuls restés nomades, arrivés chez nous la première fois en 1419, la plupart ayant longtemps transité par ce qui allait devenir l’Allemagne en 1871. Les Mânouches portent d’ailleurs souvent des noms germaniques : les Bauer, les Scheid, les Winterstein, les Weiss, les Ziegler… et Reinhardt.  Un parent de Django Reinhardt, interné dans le camp de Montreuil-Bellay, est mort à l'hôpital de Saumur où, malade, il avait été transféré. 

La destruction, jamais oubliée, de l’église de Méron
La conférence donnée en fin d’après-midi au presbytère voulait préciser cette diversité dont la presse ne rend pas toujours compte : pour elle, ce sont généralement "des Gitans" et, maintenant, surtout "des Roms".

 L'évêque suit les explications sur la maquette du camp.
(Photo Jean Richard)

 Dans la prison, seul vestige intact.
Cave d'une ferme qui a brûlé en 1908.
(Photo Karim Fikri)

Photo traditionnelle sur les marches d'un ancien bâtiment du camp.
(Photo Willy Jousselin)

Après les explications données sur les principales ruines du camp, ce fut un passage rapide dans la zone industrielle, ancien camp américain que l’on appelait aussi "Camp de Méron", comme l'autre ; ce qui a favorisé l’oubli du premier par les Montreuillais. On choisit son passé…
Ce fut ensuite une halte au clocher de Méron, cette blessure difficilement cicatrisable depuis que fut prise la  décision de détruire entièrement l’église et la grotte de Lourdes, et ce, comme par hasard, le dernier jour de juillet 1983, "à la sauvette", quand les paroissiens concernés étaient partis en vacances.
L'église de Méron avant sa destruction.
La construction moderne qui devait remplacer le lieu du culte condamné ne fut jamais consacrée ; elle est devenue une maison d’habitation.

 Le clocher roman avec un ajout de deux étages au XIXème siècle,
tout ce qui reste à ce jour.

Au pied du clocher roman, le seul vestige conservé, fut évoquée la belle et pittoresque figure de l’abbé Jollec, ce curé breton des ardoisières de Trélazé que l’on exila au fond de l’Anjou pour avoir défilé en 1936 avec le Front Populaire. Le 3 janvier 1945, voulant sauver des enfants qui avaient sauté sur une mine allemande au pont de Baffou, il subit lui-même le même sort, et fut en décembre amputé d'une jambe gangrenée. François Jollec quitta définitivement Méron courant 1946, et mourut le 24 mai 1950 dans la Maison du Clergé de Beaupréau.

 L'abbé Jollec recevant son évêque dans sa paroisse de Méron dans les années 1930.

L’évêque angevin, lors de son séjour à Montreuil-Bellay, ne découvrit pas que les heures sombres de la Seconde Guerre mondiale, ses hôtes lui ayant programmé d’autres visites moins douloureuses.