Une belle couverture avec un
joyeux vainqueur et quatre jeunes femmes énamourées ; un titre
euphorique puisque la France chassait les nazis : C’était… le bel été 1944. Comment ne pas acheter la
revue proposée par deux célébrités de l’édition, rassuré par le beau savoir faire de Paris
Match et le sérieux savoir faire de l’Histoire ?
Et comme j’ai
beaucoup, et depuis de très longues décennies étudié le problème, je suis
interpellé par la page 82 : Un camp en Alsace. Celui du Struthof,
le parfait exemple de camp de concentration en France… mais qui n’était pas
français.
Et là, pas même une surprise, ce sont toujours les mêmes omissions. Par ignorance… ou volontairement ? Car enfin, cela fait maintenant quelque 40 ans que j’écris régulièrement que ce camp, à l’origine allemand, est devenu français pendant
l’hiver 44-45 quand les vainqueurs y internèrent à leur tour des Allemands, et non pas seulement « des
personnes suspectes de collaboration ».
Rappelons ce qui se passe en
décembre 1944 et janvier 1945 en confrontant les écrits officiels et mes recherches personnelles.
Tout commence le 23 novembre 1944 avec la
reprise de l’Alsace et de la Moselle par l’armée de Leclerc. C’est Margareth
Hansen que je suis allé retrouver à Chicago où elle
vivait depuis sa libération qui m'explique : Mon père, officier de réserve [allemand],
avait été affecté dans le personnel au sol de l’aéroport d’Hagueneau. Nous
pensions pouvoir demeurer dans notre maison de Strasbourg mais, deux semaines
plus tard, tous les ressortissants allemands durent se faire enregistrer, avec
« bagages », à la préfecture où nous fûmes gardés toute la nuit. Le
lendemain, on nous conduisit en camions jusqu’au camp de Schirmeck où les FFI
nous maltraitèrent malgré l’intervention des Américains. Le 1er janvier [1945],
on nous transféra dans le camp du Struthof.
Le camp du Struthof aujourd'hui. (Photo Pierre Jamin)
Des civils allemands internés au Struthof après la
libération de l’Alsace…
Je suis également allé voir,
cette fois à Strasbourg, une seconde ancienne internée, Elisabeth Barthélémy,
amie de Margareth. Elle me parla de ce transfert : […] Voyage à pied sur
un chemin pentu. Toute personne âgée qui ne marchait pas assez vite était
délestée de son maigre bagage. Les FFI qui nous encadraient se contentaient de
jeter les valises dans le ravin.
Le Struthof en hiver, même
pour seulement quelques jours, fut un calvaire. […] On nous a montré un
abat-jour confectionné du temps des Allemands avec la peau d’un Tsigane. Pour
trouver un peu de chaleur, j’ai dû fouiller dans des sacs remplis des vêtements
de ceux qui avaient été gazés. A Schirmeck, on nous avait distribué des
pantalons de l’armée allemande.
Ce sont des civils, et en grande majorité des
femmes, les hommes, mobilisés, étant morts aux combats et les survivants essaient d'arrêter l'avance des alliés sur les différents fronts. C'est que la guerre n'est pas terminée en cet hiver 44/45. Ces civils ennemis ont été arrêtés par les Services de Sécurité Militaires, la
Police Française et les FFI. Pas de pitié pour les vaincus d’où venait tout le mal, pour paraphraser le bon Jean de La Fontaine des Animaux malades de la peste.
Beaucoup, parmi les plus âgés, sont des Allemands qui ont vécu en Alsace
et en Moselle après leur victoire de 1871, et qui, lorsque Hitler a annexé – et
non pas occupé – ce territoire qu’il disait germanique, étaient revenus au cours de l'été 1940
dans leur ancienne maison ou ferme, ou qui se trouvaient dans des maisons de retraite près de
l’endroit où ils avaient autrefois heureusement habité. Les femmes plus jeunes
avaient, de l’été 1940 jusqu’à ce décembre 1944, travaillé dans les
administrations allemandes, ou comme infirmières dans ces maisons de
retraite.
Pour expliquer le naturel de cette situation, je prends
parfois un exemple pédagogique… mais que d’aucun pourrait juger saugrenu ?
Imaginons que la France eût repris l’Algérie dans les années 1990-2000. Ne
croyez-vous pas que ceux que nous appelons les pieds-noirs seraient bien vite
retournés là où ils avaient vécu heureux, et sous un climat plus accueillant
que celui d’une métropole qui n’était pas leur pays ? Simple exemple
pédagogique, n’est-ce pas…
… avant d’être transférés en Anjou.
Les internés ne restent pas longtemps au Struthof car
l’on craint que leurs compatriotes, qui se battent toujours de l’autre côté de
la frontière, ne viennent les libérer. Il est alors décidé de les transférer de
nouveau, mais loin du front cette fois, à Montreuil-Bellay, dans le Maine-et-Loire,
où existe un vaste camp de concentration qui enferme des Tsiganes – que l’on
appelle « nomades » depuis une sinistre loi de juillet 1912, que l'on maintien dans un
camp, gardés par des gendarmes français… car
pour cette population mal aimée, l’heure de la libération n’a pas encore sonné,
même si les derniers soldats allemands ont quitté l’Anjou depuis le 29 août
1944. Encore une aberration qu’il faudrait bien expliquer. Pour loger les civils allemands, il suffit d'expédier les nomades ailleurs. Et c'est dans les camps de Jargeau (Loiret) et d'Angoulême (Charente), que les derniers ne quitteront qu'en juin... 1946 !
Le camp de Montreuil-Bellay vu d'un mirador en 1944. (Archives J. Sigot, J.-C. Leblé)
Et c’est ainsi que le 20 janvier 1945, à la tombée de la nuit
et dans la neige, entrent dans le camp de Montreuil-Bellay 796 sujets
allemands, dont 620 femmes, 105 hommes et 71 enfants, après un long voyage de
deux jours en wagons à bestiaux.
C’est, au cours du premier mois, l’hécatombe parmi des vieillards peu habitués aux restrictions et qui logent dans des baraquements dévastés et non chauffés.
Jeune Allemande décédée dans le camp de Montreuil-Bellay le 14 février 1945.
(Archives J. Sigot)
Quelque neuf mois après leur arrivée naissent pourtant quelques enfants dans le camp, mis au
monde par des jeunes femmes qui ont été violées par leurs gardiens au Struthof,
enfants que l'on inscrit dans les registres de l’état civil de la mairie de
Montreuil-Bellay. J'ai correspondu avec l'une de ces mères qui m'a demandé de ne pas publier son nom.
Margareth Hansen et Elisabeth Barthélémy sont revenues à Montreuil-Bellay pour témoigner.
Juste deux lignes dans le numéro spécial de Paris Match
L’Histoire pour dire ce qui s'est passé au Struthof après la libération de l'Alsace, le 26 novembre 1944 : Il [le camp du Struthof] accueille alors des
personnes suspectes de collaboration, avant de devenir un mémorial.
C’était… le bel été 1944, avant un bien triste hiver
pour des civils allemands vaincus et des Tsiganes français oubliés.
Cette histoire est plus complète dans mon ouvrage
Des barbelés que
découvre l’Histoire. Un camp pour les Tsiganes… et les autres. Montreuil-Bellay
1940-1946, Editions Wallada.
Autre page "histrorique" rédigée au cours de la même nuit :
http://jacques-sigot.blogspot.fr/2014/05/lanar-sous-les-drapeaux.html