15 mars 2015

Etre instituteur dans le camp de Montreuil-Bellay

Où l'on voit qu'avoir été nommé instituteur, pendant la Seconde Guerre mondiale, dans le camp de concentration de nomades de Montreuil-Bellay fut une véritable sanction disciplinaire.
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Page rédigée à partir d'un dossier (1) qui m'a été adressé par Raymond Delavigne, auteur d'un ouvrage sur la commune où il est né : Villevêque à travers les âges, publié en 2010.

 Le Loir à Villevêque

Le château de Villevêque
Deux clichés du Net.

Nous sommes en février 1942 à Villevêque, petite commune du Maine-et-Loire sur le Loir, à une quinzaine de kilomètres au nord-est d'Angers.

L'affaire du directeur d'école Lagadec 

Le comité local d'entraide aux prisonniers de guerre est présidé par Alexis Fouin, le maire ; le curé, Raymond Coudray, tout juste rentré de captivité en tant qu'ancien combattant de 1914-1918, en est le vice-président  tandis que Pierre Lagadec, directeur de l'école publique, en est le secrétaire et le trésorier. La rumeur publique accuse ce dernier de malversation lors de la confection et la distribution des colis, d’où sa mutation d'office, avec sa femme, également institutrice.
Après la guerre ils sont pourtant invités pour un banquet par les prisonniers réunis qui veulent ainsi marquer leur solidarité avec ce couple d'instituteurs qui n'a pas failli. En réalité, ils ont été injustement dénoncés parce qu'ils ne partageaient pas les sentiments cléricaux pro-vichystes de l'époque.

Des recherches aux Archives départementales ont permis à Raymond Delavigne de retrouver le dossier de cette affaire (1), dossier constitué d'une liasse de 15 pièces, et devenu accessible à la consultation en 2005.

- Voici tout d'abord la lettre de dénonciation manuscrite signée du pseudonyme ''L. Lumière''. On  ne trouve pas trace dans le dossier d'une quelconque interrogation sur l'identité réelle de ce dénonciateur.
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Villevêque le 14 février 1942

         Monsieur le Préfet de Maine-et-Loire, Angers

Dimanche dernier 8 février, avait lieu à la mairie de Villevêque la réunion générale du Comité d'Entraide aux prisonniers de la commune à laquelle étaient invités les autorités civiles et religieuses, les anciens combattants et les familles des prisonniers. Cette réunion, qui aurait dû être placée sous le signe de l'union de tous, ne fut rien moins qu'une manifestation politique et partisane d'avant-guerre, mettant aux prises le Curé, vice-président, et l'instituteur secrétaire, que le Maire président sans autorité se montra impuissant à concilier.
Pendant plus d'une heure de longues et parfois violentes discussions donnèrent à l'assistance la triste impression que la politicaillerie de clocher d'autrefois existait toujours. L'attitude insolente de la femme du secrétaire en fut la meilleure preuve. Le maire président et l'instituteur secrétaire ayant donné leurs démissions, Monsieur le Curé, officier prisonnier rapatrié d'Allemagne, réussit non sans peine à reformer un nouveau comité.
Les assistants, et particulièrement les femmes de prisonniers, sortirent de la salle déçus et écœurés. Depuis, les commentaires vont leur train.
Que s'est-il donc passé depuis six mois au sein du comité ? C'est la question que chacun se pose. Ce malaise doit être dissipé.
Nous venons vous prier Monsieur le Préfet de bien vouloir ordonner une enquête qui s'impose pour rechercher les responsabilités. Etant donné la qualité des personnes en cause, nous n'ignorons pas qu'elle sera délicate, mais elle est nécessaire pour faire taire les racontars et rétablir dans la commune l'ordre et le calme que la municipalité s'est révélée dimanche incapable de maintenir.
Au nom des familles de prisonniers de Villevêque, veuillez agréer, Monsieur le Préfet, nos salutations distinguées.
                                                                       L. Lumière

Cette lettre anonyme est annotée par le préfet délégué : Urgent et signalé. Communiqué à Monsieur le Commissaire Spécial.

Mais plusieurs pièces antérieures à cette lettre de dénonciation montrent que M. Lagadec faisait déjà l'objet d'une surveillance, comme le confirme cette note manuscrite à l'entête du Secrétaire Général de la Préfecture :

Villevêque.
M. Lagadec, instituteur à Villevêque.
- hostile à la révolution nationale, dans ses conversations privées, ses allusions ;
- met le désordre dans le Comité des prisonniers, dont il est secrétaire trésorier.
A déplacer lors d'un prochain mouvement.
(Archives Départementales 49 ; W 90 ; Préfecture, cabinet du préfet. Personnel enseignant. Sanctions. Dossiers individuels. 1940-45. Communicabilité 2005. Epoux Lagadec)

- Le Commissaire Spécial ne semble pas avoir attendu l'ordre du préfet car une note dactylographiée, datée du 12 janvier 1942 indique :

Le Commissaire Spécial, Angers
Il a été porté à ma connaissance que M. Lagadec, instituteur public à Villevêque serait dans ses conversations privées, hostile à l’œuvre de rénovation nationale.
Secrétaire trésorier du Comité des prisonniers de guerre de cette commune, il apporterait au sein de cette association une certaine perturbation.
Je vous prie de vouloir bien faire procéder, à ce sujet, à une enquête discrète et m'en transmettre dans le moindre délai possible les résultats.
Le Préfet délégué

- Le 18 février 1942 l'Inspecteur de police spéciale Lamielle adresse son rapport à Monsieur le Commissaire Spécial, Angers

N 63. Objet : renseignements Lagadec instituteur à Villevêque
Référence à la lettre de Monsieur le Préfet de Maine-et-Loire en date du 12-1-42 concernant M. Lagadec, instituteur à Villevêque, j'ai l'honneur de vous rendre compte ce qui suit :
Secrétaire trésorier du Comité des prisonniers de guerre de la commune, Lagadec s'est accaparé de toute la gestion de cette œuvre et il n'y admet l'immixtion de personne ; d'où friction inévitable entre M. le Maire d'une part, qui veut ménager ses administrés, et M. le Curé, d'autre part, qui, lui, tient à ce que cette œuvre fonctionne loyalement et rondement.

Cette situation préjudiciable aux prisonniers de guerre ne saurait être tolérée plus longtemps et M. le Maire envisage de réunir incessamment le Conseil municipal pour réorganiser ce comité et provoquer, si possible, la démission de Lagadec.

Quant à son hostilité envers l’œuvre de rénovation nationale, aucune preuve n'a été relevée contre lui.
Renseignements complémentaires :
Lagadec, Pierre, François, né le 5 septembre 1901 à Plomodiern (Finistère) de Noël Marie et de Doaré Noelle. Marié. Promotion 1917-1920 Quimper. A Angers en 1927.
Attitude politique
a) serait d'idées très avancées
b) en 1936, lors des événements espagnols, aurait fait un voyage en Espagne républicaine.
Cependant aucune preuve ne corrobore ces indications.

Ce dernier paragraphe est souligné de deux traits au crayon rouge dans la marge.

- De son côté, l'Inspecteur d'Académie de Maine-et-Loire écrit à Monsieur le Préfet délégué :

En réponse à votre lettre du 3 mars 1942, j'ai l'honneur de porter à votre connaissance que la mutation de M. Lagadec, instituteur à Villevêque, vous sera proposée, conformément à vos instructions, lors du mouvement du personnel, à la fin de l'année scolaire. Cette mutation entraîne celle de Madame Lagadec qui est également institutrice, et la nécessité de disposer d'un poste double.

- Le 26 mars 1942, le Préfet délégué envoie une lettre dactylographiée à Monsieur l'Inspecteur  d'Académie. Extraits dans lesquels apparaissent les vraies raisons de la mutation autoritaire :

L'attitude de M. Lagadec semble être largement influencée par les idées subversives, que l'intéressé professait sous l'ancien régime et qu'il n'aurait pas complètement abandonnées.
Pour ces diverses raisons, j'ai l'honneur de vous demander de vouloir bien, lors d'un prochain mouvement, prononcer la mutation de l'intéressé. Cette mesure s'impose en effet toutes les fois que l'on se trouve en présence d'un fonctionnaire dont le loyalisme est suspect, sans toutefois donner lieu, par des actes précis, à une sanction plus grave.

Une note marginale manuscrite à l'encre rouge indique :

Lagadec. Le ménage Lagadec (mari nommé à Maulévrier, femme nommée à Meigné-le-Vicomte). Est détaché au camp de Montreuil-Bellay [2]. Voir arrêté du 30 mars 1942.

- Cette mutation provoque les réactions des élus et du curé, aussi le directeur de cabinet du préfet envoie-t-il une note pour le Préfet :

Maître Rabouin a téléphoné pour appeler l'attention de Monsieur le Préfet sur l'émotion qu'a provoquée la récente mutation de M. Laguadec, instituteur à Villevêque.
Cet instituteur jouissait de la plus grande sympathie dans la commune et le Maire le verrait partir avec le plus grand regret ; M. Rabouin demande s'il ne serait pas possible de se renseigner auprès de M. Drouin [confusion pour M. Fouin)] maire de Villevêque. 

- Par une lettre, datée du 27 mars 1942, M. Fouin écrit au  Préfet Régional :

C'est avec étonnement que je viens d'apprendre le déplacement possible à Montreuil-Bellay de notre instituteur M. Lagadec. Je n'ai pas à discuter une telle décision dont j'ignore le motif exact. Je tiens cependant à vous faire connaître, M. Le Préfet, que jusqu'à maintenant, j'ai toujours entretenu avec M. Lagadec, tant en ce qui concerne l'école où ses qualités professionnelles étaient très appréciées, qu'au sein du Comité des prisonniers où il s'est dépensé pendant un an, les meilleures relations. C'est pourquoi je ne m'explique pas une mesure aussi grave....

- Lettre du curé écrite le lendemain, le 28 mars 1942 :

Monsieur Lagadec, instituteur à Villevêque, m'apprend ce jour qu'il est déplacé pour le motif suivant : dispute avec M. le Maire et M. le Curé au cours d'une réunion du Comité d'aide aux prisonniers.
Sollicité de donner mon avis, je reconnais bien volontiers qu'il n'y ait, ce jour-là, (qui était le 8 février), aucune dispute entre Monsieur Lagadec et moi. Façon de voir différente ne veut pas dire dispute.

- M. Lagadec exerce bien dans le camp de concentration des Tsiganes de Montreuil-Bellay, comme l'indique une note du dossier à entête de la préfecture daté du 8 avril 1942 : Laissons Lagadec à Montreuil, mais prévoir un poste meilleur pour le mouvement d'octobre. 

Jeunes internés devant l'école 
du camp de concentration de nomades de Montreuil-Bellay.

Toutefois, il s'agit d'un poste provisoire jusqu'à la rentrée d'octobre, car l'annotation suivante figure en tête du dossier :

Les époux Lagadec sont nommés à l'école de garçons de Saint-Hilaire-Saint-Florent. Voir arrêté du 20 avril 1942.

Ce qui semble clore l'affaire. Cependant, une note manuscrite écrite au crayon sur un bout de papier [¼ de feuille, c'est l'époque des restrictions] dont l'auteur doit être le Secrétaire Général de la préfecture, indique que l'affaire cache autre chose :

Remis par Me Gardot qui n'excuse pas l'intéressé mais s'étonne que le curé ait pu demander le déplacement de l'instituteur et s'en défend ensuite dans la lettre ci-jointe.

Pour Me Gardot, la mutation doit se faire, mais il serait fâcheux à son avis de donner à cette mesure un caractère de sanction trop prononcé. L'envoi de M. Lagadec au camp de nomades de Montreuil-Bellay serait une mesure excessive.

Dans la réalité, le dossier ne reflète pas toutes les démarches ayant provoqué la mutation de M. Lagadec. La vraie raison est un conflit local entre les tenants de la laïcité républicaine et les cléricaux plutôt en faveur, à cette époque, du régime collaborationniste de Vichy.
Ce type de conflit connaît un nouvel épisode au sein du Conseil municipal lorsqu'il s'agit, à la Libération, de retirer le crucifix du local de la mairie que le régime de Vichy avait affiché.


(1) A D 49 W 90 Préfecture, cabinet du préfet. Personnel enseignant. Sanctions. Dossiers individuels. 1940-45. Communicabilité 2005. Epoux Lagadec.  
[2] Il s'agit du camp de concentration des Tsiganes.

2 mars 2015

La plume des Sigot

Vous êtes sur le blog de Jacques, l'instit pensionné/historien amateur/guide touristique/grand voyageur de par le monde...
Découvrez l'ouvrage de sa fille, traductrice/interprète de conférence, romancière helvète...






Sonia Clancy, jeune interprète de conférence diplômée a tout pour réussir. Elle est motivée, sérieuse, douée pour les langues. Mais c'était sans compter sur un détail, ou plutôt une personne qui allait croiser son chemin.
Très vite, la cabine, son lieu de travail, se transforme en cage de verre et, entre ses parois oppressantes; Sonia risque à tout moment de perdre sa voix.







et ceux de son épouse, professeure/romancière...







Montreuil-Bellay, dimanche 14 septembre 1806.

Les Dovalle ont été assassinés ! En quelque minutes, ce cri a frémi dans la ville. [...] Toute la ville, alléchée par le malheur, plaint et condamne. Et toutes les lèvres, durcies par la colère, le mépris ou la haine, chuchottent le même nom, celui de l'empoisonneuse : Anne Robineau.

[...] Avec ces pauvres sans nom et sans biens qui sont au cœur de cette étude, le livre de Geneviève Sigot devient quasi intemporel. Car les questions qu'il pose et qui nous interpellent...
- Qui sont-ils ?
- Quelle est leur place dans la société ?
- Que faire d'eux ?
... sont toujours actuelles.
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Ecrire en famille... chacun dans son monde...