Etre parqués derrière des barbelés électrifiés sans savoir pourquoi, être privés de liberté, et surtout de la route, était pour les Tsiganes/nomades le pire des malheurs. D’autant plus que de leur enclos, ils voyaient tous les sédentaires circuler librement sur la nationale et la voie ferrée qui longeaient les deux côtés du camp sur toute sa longueur. Et cela même après la libération de la région, fin août 1944.
Ajoutez des baraquement non chauffés, en dehors de l’école et de la chapelle, la terre du camp presque toujours transformée en bourbier, une promiscuité forcée pour une population jalouse de son indépendance, une nourriture plus qu’insuffisante et peu diversifiée, et vous avez, pour plagier La Fontaine, de ces malheureux la peinture achevée.
Pourtant, dans la grisaille des jours sans fin de l’internement, il y eut quelques coins de ciel bleu ; grâce à la présence des instituteurs qui s’attachèrent à ces élèves qu’avant la guerre ils avaient peu vus dans leur classe ; surtout grâce à celle de religieux dont l’œuvre première est d’aider les miséreux.
L'abbé Jollec
Il y eut l’abbé Jollec, curé de Méron, en ces années encore petite commune proche de Montreuil-Bellay sur le territoire de laquelle se trouvait l’ensemble des baraques en bois du camp.
L'abbé Jollec et son évêque dans les années 1930 (Archives privées)
Le jeudi, il sortait les enfants de l’enceinte et les emmenait jouer dans la campagne environnante, n’oubliant jamais de leur distribuer quelques friandises. Trop de compassion, sans doute, et l’administration fit demander un jour à son évêque de lui interdire l’accès au camp. Ces deux extraits de lettres des Archives Départementales du Maine-et-Loire :
- De l’abbé Jollec, le 21 novembre 1941 : Que vont devenir ces pauvres créatures lorsque les vents glacés vont balayer cette plaine dénudée de Champagne ? La mortalité et les épidémies peuvent s’y mettre très facilement. Ce qui presse le plus pour le moment, ce sont des vêtements, des chaussures, et surtout une suralimentation.
- Réponse de l’Administration en date du 27 décembre suivant : L’abbé Jollec […] vient de se rendre indésirable tant par son attitude "débraillée" que par les initiatives intempestives qu’il se permet à chaque instant.
Les sœurs franciscaines missionnaires de Marie
Ne pouvant alors partir en mission à l’étranger, elles ont demandé à vivre dans le camp pour secourir ces corps et ces âmes en perdition. Leurs archives m’ont été récemment confiées, et j’extrais ces quelques lignes de leur journal ainsi que ces dessins. L’intégralité des documents a été publiée dans la quatrième édition de mon ouvrage.
Un soir, l’une de nous, passant devant une baraque, plaisante entend Mme D. sur la noirceur des pieds de son fils qui n’ont pas touché l’eau depuis longtemps. La bonne femme se met à rire et répond. « Heureusement, ça ne va pas salir les draps ! »
[Une autre fois,] la même appelait à grand cris son fils, son Mouscrenic (le roi des oiseaux en langage de la route) pour qu’il cherche sa petite Louise, âgée de 3 ans. Mouscrenic n’entend pas… Pleine de philosophie, la bonne femme conclut : « Après tout, y a des barbelés, ma Louise ne n’est pas fait écraser par les autos. » Et elle ne s’en préoccupe plus.
Les religieuses logeaient dans un bâtiment du camp, et ne sont allées coucher en ville le soir qu'au cours de l'été 1944, aussitôt après les premiers bombardements par des avions alliés ; elles n'ont quitté les barbelés de Montreuil-Bellay que début janvier 1945, après que les Tsiganes eurent été transférés dans d'autres camps.
Une image tendre : une femme, son bébé dans les bras et un autre enfant accroché à sa robe.
La religieuse a dessiné en second plan l'un des clochards raflés dans les rues de Nantes au printemps 1942, internés à Moisdon-la-Rivière (Loire-Atlantique) puis à Coudrecieux et Mulsanne (Sarthe) et qui sont quasiment tous mors dans le camp de Montreuil-Bellay pendant l'hiver 1942/1943.
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