.
Jacques Brel
Jacques Brel
Ce soir, à la télévision, Le Grand Échiquier, en hommage à Jacques Chancel qui vient de nous quitter.
Pendant des années, après avoir terminé la classe dans ma petite école du Coudray-Macouard, et après avoir couvert à bicyclette les sept kilomètres qui la séparaient de chez nous, à Montreuil, je prenais ma radio et allais cultiver mon jardin ; de 5 à 6 h, j'écoutais chaque jour Radioscopie.
Au cours de l'émission de ce vendredi, j'ai revu un autre Jacques, Brel de son nom, que j'ai rencontré une fois, par hasard en Afrique.
J'avais entendu ses premières chansons en 1960, dans le foyer de l'école normale d'instituteurs de Beauvais où j'étais alors élève après avoir été mis à la porte de celle d'Orléans. Je ne les ai jamais oubliées. J'ai acheté depuis le disque avec Il pleut (Les carreaux de l'usine sont toujours mal lavés) ; Il peut pleuvoir sur les trottoirs ; et surtout Grand Jacques, si proche du petit Jacques perdu dans la froide et triste Oise, orphelin de sa blonde Loire : ce que Brel disait sur les églises dont je n'ai fréquenté que les parvis, mais que j'ai beaucoup visitées ; sur les guerres, quand je ne fus jamais soldat ; sur l'amour qui m'a joué tant de tours...
Puis ce fut un nouvel exil, celui-là volontaire, comme coopérant culturel pour échapper au service militaire que cette coopération remplaçait alors, instituée par de Gaule un an plus tôt. Sept années au Maroc, de 1966 à 1973. Et là, l'une des grandes émotions de ma vie nomade : ma rencontre, donc, avec Jacques Brel à Meknès, peu après mon arrivée, et une bière partagée...
Jacques Brel en 1971. (Photo du Net)
Jacques Brel en 1971. (Photo du Net)
Le Grand Jacques qui, malade, savait qu'il allait bientôt mourir, avait décidé d'arrêter de courir les salles de spectacle ; mais il avait voulu auparavant offrir une tournée d'adieu. L'une d'elles l'a conduit au Maroc, et à Meknès.
Un samedi soir, il donna son récital dans le grand cinéma du Rif qui jouxte le collège du Riad dans lequel j'enseignais, dans le Nouveau Mellah, à quelque deux kilomètres de la ville moderne où j'habitais. J'assistai à cette soirée. Il était impressionnant, vivant chaque chanson de toute son âme tourmentée, de tout son corps, gesticulant, grimaçant, suant...
Un samedi soir, il donna son récital dans le grand cinéma du Rif qui jouxte le collège du Riad dans lequel j'enseignais, dans le Nouveau Mellah, à quelque deux kilomètres de la ville moderne où j'habitais. J'assistai à cette soirée. Il était impressionnant, vivant chaque chanson de toute son âme tourmentée, de tout son corps, gesticulant, grimaçant, suant...
Après le spectacle, je restai à discuter avec quelques amis devant le cinéma, les soirées sont si agréables au Maroc, après la chaleur de la journée. Et je rentrai enfin. M'approchant de la vieille Bab Mansour - l'une des très belles portes monumentales de la ville ancienne - je vis de loin un homme tourner comme un fauve près d'un petit taxi comme il y en a là-bas.
Je reconnus vite Jacques Brel et arrêtai ma voiture pour lui demander s'il avait besoin de quelque chose. - Oui, si tu pouvais me conduire à mon hôtel, parce que le chauffeur n'a pas l'air de savoir changer sa roue crevée. Je voudrais vite aller me coucher.
Bab Mansour, dans la ville musulmane. (Photo du Net)
Je reconnus vite Jacques Brel et arrêtai ma voiture pour lui demander s'il avait besoin de quelque chose. - Oui, si tu pouvais me conduire à mon hôtel, parce que le chauffeur n'a pas l'air de savoir changer sa roue crevée. Je voudrais vite aller me coucher.
Nous chargeâmes ses bagages dans ma voiture et partîmes aussitôt pour l'hôtel Transatlantique, à Bellevue, tout près de la villa que nous louions ensemble, deux coopérants et moi.
- Si tu veux, viens me retrouver demain matin vers 11 h, je te paierai une bière pour te remercier, me dit-il après que je l'eus déposé.
- Si tu veux, viens me retrouver demain matin vers 11 h, je te paierai une bière pour te remercier, me dit-il après que je l'eus déposé.
La vieille ville de Meknès photographiée de Bellevue, où j'habitais.
Je le retrouverai donc le lendemain matin au bar de l'hôtel, et nous bavardâmes pendant une petite heure. Je n'ai jamais oublié son immense tristesse, sa lassitude. Ce n'était plus le même homme que j'avais vu chanter la veille au soir. Ses cheveux longs encadraient son visage creusé par la fatigue... ou le mal qui le rongeait déjà.
Puis il est parti pour les Marquises, comme s'isolent les éléphants qui savent leur fin proche et qui veulent cacher leur décrépitude à ceux qui les ont admirés si grands, si forts.
Dernièrement, quand nous avons accompagné notre fille qui avait une conférence à Bruxelles, je suis allé en pèlerinage visiter le petit musée que la ville avait créé pour rendre hommage à son grand homme...
Sa chanson, Grand Jacques :
C´est trop facile d´entrer aux églises
De déverser toute sa saleté
Face au curé qui dans la lumière grise
Ferme les yeux pour mieux nous pardonner
Tais-toi donc Grand Jacques
Que connais-tu du bon Dieu ?
Un cantique une image
Tu n´en connais rien de mieux
C´est trop facile quand les guerres sont finies
D´aller gueuler que c´était la dernière
Amis bourgeois vous me faites envie
Vous ne voyez donc point vos cimetières
Tais-toi donc Grand Jacques
Laisse-les donc crier
Laisse-les pleurer de joie
Toi qui ne fus même pas soldat
C´est trop facile quand un amour se meurt
Qu´il craque en deux parce qu´on l´a trop plié
D´aller pleurer comme les hommes pleurent
Comme si l´amour durait l´éternité
Tais-toi donc Grand Jacques
Que connais-tu de l´amour
Des yeux bleus des cheveux fous
Tu n´en connais rien du tout
Et dis-toi donc Grand Jacques
Dis-le-toi bien souvent
C’est trop facile
De faire semblant.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire