Naître, vivre et mourir... pourquoi, comment ?
Une teinte inhabituelle à ce dossier de mon blog... si j'avais coutume de surtout parler de ma jolie petite ville, de sa rivière que je vois de ma fenêtre dès la fin de l'automne et que me cache un tilleul l'été, de mes travaux divers, dont ceux sur l'ancien camp pour Tsiganes... et d'autres, pendant la Seconde Guerre mondiale, étude jamais achevée à laquelle j'ai consacré une trentaine d'années entre indifférence, rejet, déceptions et rencontres riches...
Ce samedi matin de juin, j'ai accompagné des amis qui conduisaient leur maman à sa dernière demeure, et j'ai enfin voulu écrire cette mélancolie coléreuse qui sourd à chaque disparition d'un proche. L'on naît et l'on meurt sans le demander, et entre les deux, il faut meubler, parfois comme on le veut, souvent comme on le peut. Du remplissage... quand Pascal proposait toute distraction pour essayer d'oublier notre humaine condition... d'où sans doute l'origine de mes travaux boulimiques...
Et, chaque fois devant la mort physiquement présente, révolté comme Aliocha Karamazov devant la malodorante dépouille de son protecteur, je pense à ces paroles de l'épopée mésopotamienne de Gilgamesh, gravées en écriture cunéiforme dans l'argile.
Cette épopée, vieille de cinq mille ans avant Jésus-Christ, est le plus ancien texte littéraire connu à ce jour écrit par les hommes. Elle narre l'histoire de Gilgamesh, roi d'Uruk, parti à la recherche de la vie sans fin. Dans cet extrait, il est profondément "troublé" par la mort qu'il découvre à travers celle de son compagnon Enkidu (*)...
Cette version est celle que je préfère de diverses traductions rencontrées.
(*) Enkidu représente tout l’inverse de l’homme civilisé : il vit dans la steppe parmi les bêtes. Le processus civilisateur d’Enkidu débute par une union sexuelle avec une courtisane. Après l’acte, les bêtes ne le reconnaissent plus, il a perdu une grande partie de sa force animale, mais en revanche il acquiert l’entendement et la parole. Puis, progressivement, la courtisane fera de lui un être civilisé. Donc, la symbolique derrière Enkidu peut se résumer à l’étape primordiale à laquelle se sont heurtés nos ancêtres lointains : le passage de l’animalité à l’humanité. (Source : Wikipédia).
Gilgamesh, au centre, entre deux Enkidu - XIIème siècle avant J.-C.
Musée d'Alep, Syrie. Photo J. Sigot.
*
Près du rivage, se dresse la taverne de Sidouri qui voit Gilgamesh s’approcher, inquiétant voyageur, de chair divine mais revêtu d’une peau de bête, le teint hâlé par le vent, la froidure, le soleil, les joues creusées par la fatigue du voyage et le visage abattu par l’angoisse qui le ronge. Elle en a peur de prime abord, le prend pour un assassin, barre sa porte et se réfugie sur le toit en terrasse de la maison. Gilgamesh, au bruit qu’elle a fait en fermant, lève les yeux et l’apostrophe, lui enjoignant d’ouvrir sa porte, sous peine qu’il la défonce. Elle lui demande qui il est. Il se présente et Sidouri, qui a eu vent de ses exploits, lui demande ce qu’il fait ici. Gilgamesh lui confie l’objet de sa quête, son désespoir et sa peur de mourir.
Le destin des hommes a atteint mon compagnon
mon petit frère.
Celui que j’ai aimé d’amour si fort,
celui qui m’a accompagné dans toutes les épreuves
est devenu ce que tous les hommes deviennent.
Je l’ai pleuré la nuit et le jour,
je me suis lamenté sur lui six jours et sept nuits
en me disant qu’il se lèverait
par la force de mes pleurs et de mes lamentations.
Je n’ai pas voulu le livrer au tombeau,
je l’ai gardé six jours et sept nuits.
Après sa mort, je n’ai plus retrouvé la vie.
Par peur de la mort
me voici dans le désert.
Ce qui est arrivé à mon ami
pèse trop lourd sur ma poitrine.
Ce qui est arrivé à mon ami me hante .
Comment pourrais-je trouver le repos,
comment pourrais-je me taire ?
Mon ami que j’aimais d’amour si fort
est devenu de l’argile,
et moi aussi devrais-je me coucher et ne plus jamais me lever ?
*
Sidouri dit à Gilgamesh :
Où vas-tu Gilgamesh ?
La vie que tu cherches tu ne la trouveras pas.
Lorsque les grands dieux créèrent les hommes,
c’est la mort qu’ils leur destinèrent
et ils ont gardé pour eux la vie éternelle, mais toi Gilgamesh,
que sans cesse ton ventre soit repu,
sois joyeux nuit et jour, danse et joue,
fais chaque jour de ta vie
une fête de joie et de plaisirs,
que tes vêtements soient propres et somptueux,
lave ta tête et baigne-toi,
flatte l’enfant qui te tient par la main,
réjouis l’épouse qui est dans tes bras.
Voilà les seuls droits que possèdent les hommes. (**)
(**) Autre traduction qui m'a été communiquée de cette strophe :
Quand les dieux ont créé l’humanité,
c’est la mort qu’ils ont réservée aux hommes.
La vie ils l’ont retenue pour eux entre leurs mains.
Toi Gilgamesh, que ton ventre soit repu,
jour et nuit réjouis-toi,
chaque jour fais la fête,
jour et nuit danse et joue de la musique ;
que tes vêtements soient immaculés ;
la tête bien lavée, baigne-toi à grande eau ;
contemple le petit qui te tient par la main,
que la bien-aimée se réjouisse en ton sein !
Cela, c’est l’occupation des hommes.
. .
.
Le seul vrai bonheur qui nous soit finalement donné n'est-il pas que celui d'exister ?...
*
* *
Les hommes ont toujours cherché à savoir ce que l'on appelle le bonheur.
- Epictète (50-125), d'après Arrien :
Il n'y a qu'une route vers le bonheur, c'est de renoncer aux choses qui ne dépendent pas de notre volonté.
(Entretien IV)
*
* *
Ajout le vendredi 1er mars 2013, au "lendemain" de la disparition de Stéphane Hessel. Ce qu'il dit de notre humanité, et qui peut compléter cette page :
Il faut que l'on ne perde jamais le rapport de l'individu avec l'esprit. La spiritualité est le domaine dans lequel un être humain se rencontre, rencontre le transcendant, rencontre ce qui n'est pas lié seulement à l'évolution de la matière, mais à ce qui lui fait participer de quelque chose à quoi il a accès seulement parce qu'il appartient à l'espèce humaine.
Stéphane Hessel. Protestantisme et spiritualité. (Extrait d'un entretien.).
Stéphane Hessel dit aussi que la naissance est une sortie du sommeil dans lequel nous étions auparavant, et que la mort est le retour dans ce même sommeil après le court voyage de la vie. Ce ne sont pas ses mots exacts, mais ce que j'en ai retenu.
Tombeau dans la cathédrale de Nantes. (Photo J. S.)
Deux âges de la vie...
Janus => un regard vers le passé, l'autre vers l'avenir.
Janvier => l'an qui vient de se terminer et celui qui commence...
Plantu se serait-il inspiré de Goya ? Son dessin dans Le Monde du vendredi 27 décembre 2013...
Ce sont les deux Français qui s'enlisent et qui vont bientôt perdre leur "âme" - via leur corps - pendant que chacun des deux Centrafricains ne pense qu'à une seule chose : tuer l'autre.
Quatre pauvres diables au lieu de deux, mais le message reste le même.
Plantu, pourtant, va plus loin dans ce message : les deux Français ont conscience de leur enlisement, ce qui n'était pas le cas chez Goya.
Gaston Couté (1880-1911), mon compatriote poète beauceron, a écrit pareillement l'imbécillité de la guerre (en patois beauceron) :
Janvier => l'an qui vient de se terminer et celui qui commence...
L'homme, la guerre, la mort
La vie tue, et dès que nous naissons, nous sommes condamnés à mourir...
L'absurdité de l'homme plus "cinglé" que la nature puisqu'il veut devancer l'échéance par toutes ses guerres.
Je pense à ce tableau de Goya, Duel au bâton (1820-1823, Musée du Prado, Madrid). Deux hommes, debout dans des sables mouvants qui vont les engloutir, cherchent encore à s'entretuer à coups de bâton, plus habités par la haine de l'autre que par le désir de se sauver...
Je pense à ce tableau de Goya, Duel au bâton (1820-1823, Musée du Prado, Madrid). Deux hommes, debout dans des sables mouvants qui vont les engloutir, cherchent encore à s'entretuer à coups de bâton, plus habités par la haine de l'autre que par le désir de se sauver...
Plantu se serait-il inspiré de Goya ? Son dessin dans Le Monde du vendredi 27 décembre 2013...
Ce sont les deux Français qui s'enlisent et qui vont bientôt perdre leur "âme" - via leur corps - pendant que chacun des deux Centrafricains ne pense qu'à une seule chose : tuer l'autre.
Quatre pauvres diables au lieu de deux, mais le message reste le même.
Plantu, pourtant, va plus loin dans ce message : les deux Français ont conscience de leur enlisement, ce qui n'était pas le cas chez Goya.
Gaston Couté (1880-1911), mon compatriote poète beauceron, a écrit pareillement l'imbécillité de la guerre (en patois beauceron) :
Les jeun's qu'avez pas vu le guarre,
Buvons un coup ! parlons pu d'ça !
Et qu'l'anné' qui vient soit prospare
Pour les sillons et pour les sâs* !
Rentrez des charr'té's d'grapp's varmeilles,
D'luzarne grasse et d'francs épis,
Mais n'fait's jamais d'récolt' pareille
A nout' récolte ed'd'souéxant'dix** !...
* Sas : les ceps de vigne. ** : la Guerre de 1870.
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