... les Tsiganes et les autres
Parlons d'actualité, ou plutôt, lisons Michel Onfray qui, dans son ouvrage Politique du rebelle, Traité
de résistance et d’insoumission. (Le Livre de Poche, biblio essais, n° 4282, copyright
Grasset & Fasquelle, 1997), évoque les difficiles conditions de vie de tous ces êtres que notre société marginalise et que nous préférerions ne pas voir mais qui, pourtant, sont bien là, même s'ils sont pour beaucoup de nous invisibles.
Michel Onfray
Restons dans la terminologie de
Dante et parlons alors d’une bolge[1]
qui contient ceux qu’on a privés, non plus d’activité, comme les précédents,
mais de travail. On y voit les immigrés clandestins, les réfugiés politiques,
les chômeurs, voire cette catégorie associée à la panoplie des signes
nouveaux : les érémistes qu’on peut définir comme les assistés a
minima, avant le basculement de leur destin du côté des damnés. Gens sans
terre et sans ouvrage, sans nationalité et sans travail, ils sont bien souvent
par-delà les lisières des lieux où se prennent les décisions, aux frontières
nettes et tranchées, là ou croupissent les victimes de la force centrifuge des
villes, brutales, cruelles et impitoyables : banlieues, cités, zones
d’immeubles qui logent parfois en un seul bâtiment l’équivalent de la
population d’un gros bourg de province sans rien de ce qui permet la
convivialité des villages de campagne.
Là où ils sont vivent ceux sur
lesquels toujours le pouvoir s’exerce, et qui, sans discontinuer et sans
rémission, subissent les misères, les calamités sociales et les brimades
consubstantielles aux délires du Léviathan[2].
Venus de Somalie où les clans en guerre s’entretuent, d’Algérie où sévissent
les hystériques intégristes, de Bosnie où purifient toujours les Serbes, de
Moldavie où l’antisémitisme fait rage, Tamouls chassés par la guerre
civile, Afghans persécutés par les
musulmans au pouvoir, Tsiganes encore et toujours les proies fétiches des
fascistes en bande, Éthiopiens chassés par la famine, Maghrébins arrachés à
leurs terres sèches et désertiques, tous ont quitté un enfer pour en trouver un
autre, préféré toutefois à celui où l’on risque de mourir de faim, de guerre,
de persécution ou de terrorisme.
Errants sans attaches, de passage
et déracinés, attendant de la France l’hospitalité que sans cesse et à la face
du monde elle dit offrir, et que toujours elle offre chichement, ils sont les
réprouvés sur lesquels d’autres réprouvés, souvent, concentrent toute leur
agressivité, trouvant bouc émissaire idéal dans plus
malheureux que soi, plus pauvre et plus démuni. Pourtant, tous font les frais
des us et coutumes du Léviathan en civilisation capitaliste, tous subissent et
supportent les mêmes dénégations d’un social qui fustige et persécute ceux qui revendiquent une
misère en guise de paiement et de salaire pour cette richesse qui fait défaut –
le travail. Or ledit défaut de travail est savamment entretenu par ceux qui ont
intérêt à cette pénurie : les acteurs et les bénéficiaires du capitalisme
emballé pour lesquels c’est le pain blanc de disposer d’un réservoir de
main-d’œuvre d’autant plus prête à accepter n’importe quoi et sous n’importe
quelle condition qu’elle croupit dans les zones les plus incandescentes et les
plus dangereuses du paupérisme.
(Pages 82-83)
*
* *
Au cours de cette lecture, je pensais à un tableau de Goya, Duel au bâton. Les deux personnages - se savent-ils condamnés à bientôt disparaître ? - pourraient illustrer cette misère qui n'empêche pas ses victimes de parfois se combattre - chacune ne cherchant ne cherchant qu'à tuer, éliminer l'autre - au lieu de conjuguer leurs énergies pour essayer d'émerger, de s'en sortir, de vivre...
Francisco Goya, Duel au bâton (1820-1823)
[1]
Une bolge, dans la Divine
Comédie de Dante Alighieri, est l'une des dix fosses concentriques
encerclées de murs et surplombées de ponts rocheux semblables aux
fortifications externes d'un château et qui constituent le malebolge,
le huitième cercle de l'Enfer décrit aux chants XVIII à XXX.
(Wikipédia)
[2]
Le nom Léviathan (de l’hébreu : לויתן, liwjatan)
vient de la mythologie phénicienne qui en fait le monstre du chaos primitif.
C'est également un monstre marin évoqué dans la Bible, dans les Psaumes (74,14 et
104, 26), le livre d'Isaïe, 27, 1 et le livre de
Job (3:8 et 40:25 et 41:1). C'est un monstre colossal, dragon, serpent et
crocodile, dont la forme n'est pas précisée ; il peut être considéré comme
l'évocation d'un cataclysme terrifiant capable de modifier la planète, d'en
bousculer l'ordre et la géographie, sinon d'anéantir le monde. (Wikipédia)
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